55)6              MEMOIRES DE PIERRE DE LESTOILE.
prist trés bien par la permission de son mari, lequel aiant une chevre s'avisa d'en faire tirer du laict, dont il en envoia trois gouttes au Neapolitain, lui faisant entendre que c'estoit du laict de sa femme. Lui, tout joyeux, pensant accomplir .son mistere (qui estoit de rendre la Cordonnière si amoureuse de lui qu'elle cour-roit aprés et le vienditit chercher, quelque part qu'il fust), rendist, avec ses chermes qu'il fist sur les trois gouttes de laict qu'on lui avoit; envoié, cette chevre si amoureuse, que commençant à sauter et tempester, s'es-chapa enfin du logis de son maistre; et trouvant cet Hespagnol au corps de garde des Neapolitaius, lui sauta incontinent au col, le baisa, et lui fist mille caresses. La fin de ceste farce fust la mort de la pauvre chevre, la fuite du Neapolitain, qu'on vouloit faire brusler; et dix escus qui demeurèrent pour gage au pauvre cor­donnier, qui en avoit bien affaire.
En ce mois, le Roy s'estant esgaré à courre un cerf, arriva seul à deux heures de nuict à Pontcarré, maison appartenante à un deses maistres des requetes et de son conseil; où s'estant fait connoistre, fust receu par sa damoiselle, à laquelle il demanda du beurre seulement; et s'en estant fait apporter, en mangea sans vouloir autre chose. Puis estant las se coucha au long du feu, sans vouloir aucunement se servir pour dormir des lits qu'on lui avoit apresté. Le lendemain matin envoia querir un prebstre à trois lieus de là pour lui venir dire la messe, disant qu'il ne vouloit desjeuner qu'il ne l'eust ouie. Ce qu'estant divulgué, confirma beau­coup la bonne opinion qu'on avoit de sa nouvelle ca­tholicité; et possible aussi que cela s'estoit fait à eeste fin.
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